L'un était tout brun et l'autre tout chauve.

Ils étaient deux en effet, dans cette boutique où je suis entré pour acheter des cartes postales. Deux hommes, à l'heure du déjeuner, chacun coincé derrière son étalage, qui parlaient d'une "Jacqueline" - il est probable que j'ai interrompu leur conversation en arrivant - et juste après une femme portant un plateau et qui a déposé sur le comptoir, à l'attention de l'homme qui allait me servir - le brun - un plateau repas comportant notamment un oeuf sur le plat. Deux, ai-je dit.


- les gens racontent leur vie, n'est-ce pas,
que voulez-vous que j'y fasse ? -

Ces deux-là sûrement se voyaient tous les jours, travaillaient dans cette boutique depuis des lustres et probablement chaque jour se faisaient apporter par la même femme travaillant dans le café voisin, un plateau repas. De longues années. Quant aux histoires - faites la somme de tout ce que vous n'avez jamais raconté à personne - c'est peut-être une allusion aux textes figurant au dos des cartes postales que j'étais en train de regarder pendant que le brun mangeait son oeuf sur le plat et que l'autre, le chauve, ma foi je n'en sais rien moi je lui tournais le dos.


mais ils avaient l'air de s'ennuyer autant
l'un que l'autre dans cette boutique

Tout comme moi ? Ça sentait un peu la poussière, tout de même, et le labeur rocaille - une carte après une autre, c'est déprimant à la longue toutes ces images mortes, sans compter qu'évidemment les cartes que l'on cherche, on ne les trouve jamais - ou si rarement ! - alors c'était ça, oui, on avait l'impression que ça n'en finirait pas et qu'au fond plus le temps passait plus ça devenait inutile, d'acheter des cartes postales - et alors de les vendre !


devant laquelle ne passaient que des japonaises en mini jupes

Etaient-ce bien des japonaises ? Quand j'ai eu fini ma recherche, dans cete boutique et puis dans trois autres, je m'en suis retourné. C'est en repartant que j'ai croisé un groupe d'adolescent qui visitaient le passage - ils s'étaient étalés sur toute la largeur du passage, j'ai été obligé de zigzaguer entre les tables d'un café pour réussir à passer.


- ils racontent… enfin manière de dire, hein…

On ne raconte jamais. Entre tous les protagonistes de cette « histoire » il n'y a que des frôlements. Cette mère et son fils dans la seconde boutique où un client était absorbé dans le dépouilement d'une boite - la rue Vercingétorix ? Oui, nous l'avons peut-être … - et puis dans la troisième deux jeunes filles - l'une blonde et l'autre brune - occupées à quelques travaux de classement - « Le Jardin des plantes c'est avec les zoos ? » - et enfin dans la dernières le type m'expliquant qu'il venait de vendre une carte postale obscène signée Georges Hugnet - « Je vous assure, le type la prenait par derrière, et hop… » - et me parlait ensuite d'un tableau du Douanier où le singe, quand on le regardait sous une certaine lumière, prenait très exactement les traits de Rousseau. Mais la rue Vercingétorix, lui, eh bien il l'avait !

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Ai-je oublié de vous dire que tout ceci se passait dans le passage des panoramas ?